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Analyse des réformes par le collectif étudiants de Rouen

Analyse des réformes

mardi 2 décembre 2003, par michel de Rouen

Un argumentaire pour le retrait immédiat, total et inconditionnel des réformes ECTS/LMD et du projet de loi de modernisation universitaire

1) Analyse des réformes

0- Pourquoi les deux " réformes " constituent un tout
Il s’agit ici d’analyser les deux réformes prises ensemble parce qu’elles ont les mêmes conséquences (mise en concurrence des universités, professionnalisation…) et qu’elles se renforcent l’une l’autre : la réforme LMD/ECTS est le volet pédagogique du projet (les contenus et l’organisation des diplômes) tandis que le projet de loi en est le volet structurel (il définit les nouveaux modes de prises de décision -notamment en termes de financement - au niveau de chaque université, ainsi que les rapports qu’entretiendront les universités entre elles et avec l’extérieur).

1- Autonomie des universités
L’autonomie pédagogique
Les universités vont avoir la possibilité de définir elles-mêmes les contenus des diplômes : la réforme ECTS/LMD remplace la notion de filière par celle de "parcours-type". La différence réside dans l’absence presque totale de contrainte au niveau national en termes de volumes horaires des enseignements ou de rapports entre les différents types d’enseignements. La seule contrainte en la matière sera la présence d’une discipline "majeure" (plus de 50% des crédits ) et d’une mineure. Dans la législation précédente pour chaque niveau étaient spécifiés
La valeur des diplômes ne sera plus fixée par le nombre d’années effectuées après le bac, mais par un nombre de points, de crédits ECTS. A première vue, un an doit valoir 60 points et 3 ans, 180 points. Mais il ne s’agit que d’une "référence", d’une "base" de calcul non-contraignante. Le nombre de points correspondant à chaque UE ou EC sera définie d’après le texte par "la charge de travail requise", définie par des "stages, mémoires, projets ou autres activités" : c’est la porte ouverte à des diplômes fourre-tout, ou les matière s’empileraient les unes aux autres sans lien entre elles et dont la valeur serait définie arbitrairement, alors qu’actuellement les coefficients sont fixés sur la base de volumes horaires.
L’autonomie financière
Grâce à la loi de modernisation universitaire, chaque université va disposer d’un budget global qu’elle répartira comme bon lui semblera. Cela a deux conséquences principales. Tout d’abord, les facs pourront gérer elles-mêmes l’embauche des personnels : la décentralisation de leur gestion supprime toute garantie du maintien des emplois. Ensuite, cette globalisation du budget permet de favoriser certaines filières au détriment d’autres, qui sur le plan pédagogique seront celles qui vaudront le moins de points ECTS.

Le résultat : la casse du cadre national des diplômes et la mise en concurrence des universités et des filières. L’autonomie des établissements entraîne la disparition de l’égalité en droits des étudiants sur l’ensemble du territoire lorsque des études équivalentes ont été effectuées. L’ensemble des universités et des filières de chaque universités sont mises en concurrence les unes avec toutes les autres. Cette concurrence peut aller jusqu’à la disparition de filières entières ou même à la disparition administrative des plus petites universités ( dans le cadre des EPCU, voir les déclarations de Ferry).

2- L’individualisation des formations
C’est l’aboutissement logique de la casse du cadre national des diplômes : elle pousse également à la concurrence et à l’inégalités en droits entre étudiants.
L’annexe descriptive
A la fin des diplômes sera ajouté un ensemble d’informations dont le contenu précis n’est pas encore déterminé : il est possible qu’elle comprenne un descriptif des cours suivis, les notes, le temps mis pour obtenir le diplôme… Il sera possible de discriminer, de classer les étudiants d’un même TD et de faire en sorte qu’ils n’aient plus le même diplôme ! Actuellement, 3 ans d’études validées en économie donnent accès aux mêmes droits en termes de rémunération et de conditions de travail, que ces trois années aient été effectuées à Bordeaux ou à Paris par un étudiant salarié ayant redoublé deux fois ou par un étudiant issu d’un milieu aisé : à l’embauche, un employeur est contraint par les conventions collectives d’offrir les mêmes droits aux deux salariés. Avec l’annexe descriptive, cette égalité en droits disparaît, et c’est la notion même de qualification, comme garantie collective face à l’employeur qui est remise en cause.
La déréglementation des choix pédagogiques et des MCC
Voir art. 28 du décret du 23/04/03…
Le résultat : la mise en concurrence généralisée des étudiants entre eux et la casse des qualifications

3- La professionnalisation
C’est un objectif clairement affiché par la réforme : il s’agit de " développer la professionnalisation des études supérieures, de répondre aux besoins de formation continue diplômante et de favoriser la validation des acquis de l’expérience, en relation avec les milieux économiques et sociaux " Décret du 8/04/03, art. 3).

Le renforcement de la présence institutionnelle du patronat au sein de l’université
Des représentants du MEDEF sont déjà présents dans un grand nombre de conseils d’administration des universités, mais leur poids dans la prise de décision va être sensiblement accru dans les instances universitaires. Tout d’abord, le projet de loi de modernisation universitaire introduit une nouvelle structure qui jouerait un rôle dans la définition des objectifs de formation et de politique générale des établissements : il s’agit des Conseils d’Orientation Stratégiques. On comprend mal la nécessité de l’ajout d’une nouvelle structure de direction des universités : les CA existent déjà. La création de telles institutions reviendrait à accroître le poids des intérêts privés dans les choix stratégiques de l’université. Ne vaudrait-il mieux pas accroître le poids des usagers de l’universités, à savoir en premier lieu les étudiants, les enseignants et les personnels techniques et administratifs de base ?
Le patronat serait également associé à la procédure d’évaluation des diplômes : sa présence dans les Commissions d’évaluation va lui donner un droit de regard sur les contenus et l’organisation précis des formations.
L’appel à des fonds privés pour financer les formations
Ce droit de regard ne s’impose pas par hasard. En effet, le désengagement financier de l’Etat conjugué à l’autonomie accrue des universités en matière financière enclenche une logique inquiétante comme l’Etat ne donne pas les moyens aux universités de fonctionner normalement, de pouvoir dispenser une éducation de qualité pour tous, les universités vont être poussées à trouver des fonds par d’autres moyens. Et si les fonds ne sont pas publics, il ne peuvent qu’être… privés ! Concrètement, les universités font de plus en plus appel à des entreprise pour financer les formations. Mais les entreprise ne font pas cela gratuitement : elle le font en échange d’un droit de regard sur les formations pour que celles-ci correspondent à leurs intérêts. Mais l’exemple des Licences professionnelles le prouve : ce n’est pas parce qu’un diplôme convient à une entreprise à un moment déterminé qu’il permet à l’étudiant de s’en sortir durablement et réellement sur le marché du travail.
Le développement de diplômes ultra-spécialisés, adaptés aux besoins à court terme du patronat
Avec des stages longs, sans garanties de rémunération, sans contrôle pédagogique, on peut se demander quel sera l’avantage pour les étudiants. Dans la réforme ECTS, aucun cadre en matière de volume horaire, de suivi pédagogique n’est indiqué : il est concrètement possible de mettre en place des formations comprenant des stages de quatre ou même de six mois. Mais quelle garantie de pouvoir continuer en quatrième année, en maîtrise générale après une licence professionnelle si on n’a eu que peu de cours et beaucoup de stages ? Sans cadre pédagogique clair, l’introduction massive de stage peut se révéler nocive pour la qualité des études.
Mais le problème principal réside dans la possibilité de la création de diplômes adaptés uniquement à un poste précis dans une entreprise précise. Quand on passe une licence professionnelle " Produits laitiers ", peut-on être sûr que ce diplôme sera valable sur l’ensemble du territoire ? Si l’infrastructure de l’entreprise change et qu’on a été formé que sur un postre de travail déterminé à un moment déterminé, le diplôme aura-t-il toujours une valeur ? Les étudiants de MLV titulaires d’une licence pro Bull ont été licenciés et leur diplôme ne leur a été d’aucun secours…
La spécialisation n’est pas en soi mauvaise, mais elle doit venir en fin d’études, au moment où l’étudiant maîtrise déjà les bases d’un domaine, d’une discipline donnée, c’est-à-dire à un moment où il a atteint un niveau qui le rend apte à évoluer de manière autonome dans le monde du travail, sans être obligé de retourner systématiquement en formation à chaque évolution ou changement de poste.
On parle d’accroître les liens entre entreprises et universités, d’introduire " des représentants du monde professionnel ". Mais pourquoi seraient-ce systématiquement et exclusivement les patrons avec qui les liens seraient renforcés, et pas avec les salariés qui font également partie des entreprises ? Dans la mesure où l’énorme majorité des étudiants sont des futurs salariés, pourquoi pas des formations dispensés par des salariés, des syndicalistes ou des juristes spécialisés dans le droit du travail par exemple ? Le problème ne réside pas dans les liens entre le monde du travail et les universités : que serait une université coupée des réalités du travail ? Le problème, c’est que ces liens doivent se tisser dans l’intérêt et sous le contrôle de la majorité des premiers concernés, c’est-à-dire des étudiants, des salariés. L’insertion professionnelle des étudiants est un des objectifs fondamentaux de l’université : il faut que les étudiants s’en sorte de manière durable dans le mode du travail, que leur diplôme soit une garantie de conditions de travail et de rémunération décentes, qu’il puisse fournir assez de connaissances de qualité pour que l’étudiant devienne un salarié capable d’évoluer dans sa carrière professionnelle, mais la professionnalisation proposée par les réformes ECTS/LMD et LMU n’ont rien à voir avec de tels objectifs.
Le résultat : la soumission des contenus et de l’organisation des études aux intérêts du patronat

4- L’extension de la sélection et la casse des acquis pédagogiques
Le statut d’UT
La sélection à l’entrée du master… ou même plus tôt !
Aucune garantie claire d’accès de plein doit au master, les articles 9 à 11 du décret du 25 avril sont flous et contradictoires et certaines universités comme Marne La Vallée prévoient de restreindre l’accès de certaines formations au niveau bac +4.
La fin de la compensation et de la session de septembre : la loi du plus fort

Conclusion : Ces réformes conduisent à un véritable démantèlement du service public d’enseignement supérieur. Il s’agit d’une véritable privatisation des universités, puisque seuls ceux qui auront les moyens de payer auront accès à des études de qualité.

2) Trois arguments pour la réforme et comment y répondre

1- " Mais la réforme ECTS permet l’harmonisation européenne des diplômes et la mobilité internationale des diplômes, et ça c’est vachement bien ! "
Pas de bourses supplémentaires de mobilité. Comment aller à l’étranger si les moyens sont inexistants ?

La casse du cadre national des diplômes est la meilleure manière de restreindre la mobilité étudiante : les étudiants n’auront même plus la garantie de pouvoir effectuer un transfert d’une université française à l’autre dans une même filière puisque les dénominations et les diplômes ne seront plus les mêmes d’une fac sur l’autre ! (mesure commune mais inégalités)

Mais toute harmonisation eropéenne n’a de sens que si est institué un cadrage européen des diplômes, c’est à dire si des contraintes en termes de contenus et d’organisation des diplômes sont définies, qui permettraient aux étudiants d’avoir des diplômes valables à des niveaux de connaissance et de qualification comparables à l’échelle européenne. Mais aucun texte de ce type n’existe au niveau européen. Dans ces conditions, la volonté d’harmonisation européenne n’est qu’une pétition de principe. Les crédits ECTS permettront de comparer la valeur des différents diplômes européens, mais ces diplômes seront de plus en plus inégaux entre eux !

2- " Vous racontez n’importe quoi, les réformes Ferry ne suppriment pas le cadre national des diplômes ! "
L’habilitation du diplôme s’effectuera par le CNESER : l’Etat attribuera un statut national aux nouveux diplômes, mais ces diplômes n’auront rien à voir les uns avec les autres et ne donneront pas accès au mêmes droits. Ce cadre national sera purement formel.

3- " D’accord, mais les réformes permettent quand même aux universités de mettre en place des nouveaux diplômes, notamment des diplômes pluridisciplinaires ! "
La mise en place de diplômes cohérents utilisants des approches de disciplines différentes n’est pas un mauvais principe mais pourquoi ne pas offrir à ce type de diplôme un cadre national ? Pourquoi ne pas garantir l’accès de ce type de diplôme à tous ? Nous ne sommes pas contre l’innovation, contre l’invention de nouveaux diplômes, mais ils doivent être favorables aux étudiants et être accessibles à tous, et offrir des droits équivalents à ceux offerts par les autres diplômes.

3) Une orientation claire : grève jusqu’au retrait du projet de loi et l’abrogation du décret et arrêtés ECTS/LMD`

Il est impossible de séparer une réforme de l’autre. Ferry fait mine de retirer le projet de loi, mais appliquer le LMD conduira tôt ou tard à adopter des dispositions équivalentes à celles du projet de loi. Il ne faut donc pas se laisser berner : il est nécessaire de lutter avec la dernière énergie, c’est-à-dire par la grève, par le blocage des cours contre ces réformes, dont la logique profonde est de saper le droit à l’éducation. Obtenir la suppression de quelques aspects négatifs de la réforme ne suffira pas : si le cœur de la réforme subsiste (la casse du cadre national et la professionnalisation) la logique de renforcement de la sélection sociale au sein de l’université sera enclenché pour de bon. Il faut exterminer ces réformes, abroger le décret du 8/04/02 et les arrêtés des 22 et 25/04/02, ainsi que le retrait du projet de loi de MU.