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Paris 8

Compte rendu paris 8 LMD

vendredi 31 octobre 2003, par Marc - Université Paris 13

Compte-rendu de la réunion tenue sur le L.M.D
à Paris VIII le samedi 18 octobre 2003 (version corrigée)

Rédacteur : Charles Soulié

Afin de suppléer à l’absence de débat démocratique relatif à l’application du L.M.D à l’université de Paris 8 (comme ailleurs…), un groupe d’enseignants de différentes disciplines a décidé d’organiser un débat public. On trouvera ci après un compte-rendu de ce débat, qui a réuni une soixantaine de personnes.

Pour commencer, Ann Thomson (anglais, Paris 8) rappelle que l’objectif de cette rencontre est d’éclairer les enjeux, problèmes, soulevés par cette réforme, sans forcément entrer dans une logique de rejet en bloc du L.M.D. Elle signale ensuite l’existence du Livre noir sur les universités françaises rédigé par la coordination R.E.S et présenté à la presse en marge du colloque de la C.P.U du 9 octobre 2003.

Frédéric Neyrat (sociologie, Limoges, membre du bureau de l’A.R.E.S.E.R) prend ensuite la parole afin d’expliciter les significations du L.M.D et les modifications que celui-ci va entraîner pour l’université française. Tout d’abord, il rappelle le rôle joué par le Rapport Attali : Pour un modèle européen d’enseignement supérieur (1998). Ce rapport partait d’un constat, celui de la marchandisation de l’enseignement. Pour y répondre, il proposait de développer l’offre de formation européenne dans un espace régulé, et ce afin de mieux contrer les effets néfastes du marché. Cet argumentaire de la logique compensatrice se retrouve dans les rapports de l’O.C.D.E et de la Commission Européenne relatifs aux questions d’enseignement, et qui regroupent sous la même appellation « d’enseignement tertiaire » l’enseignement professionnel et l’enseignement supérieur. Selon les « experts » de l’O.C.D.E, cet enseignement n’a pas vocation (contrairement à l’enseignement primaire ou secondaire) à être financé exclusivement par l’Etat. On retrouve ici les théories du capital humain relatives à la dynamique coût/investissement et l’idéologie libérale qui les fonde.

Le L.M.D se présente donc comme une réforme pédagogique. Il est censé faciliter « l’orientation » des étudiants, leur circulation entre les différents pays d’Europe, et améliorer la « lisibilité » des formations académiques, jugées trop morcelées. Toujours dans la phraséologie manageriale dominante, le L.M.D est présenté comme un empilement de « briques » destiné notamment à favoriser la circulation des étudiants, comme l’activité de « formation tout au long de la vie ». Le système des E.C.T.S permettra ainsi de cumuler les « briques » amassées aux travers des différents types de formation, qu’il s’agisse de « l’éducation formelle » (celle traditionnellement délivrée dans les établissements d’enseignement), de « l’éducation informelle » (celle transmise dans le cadre familial par exemple) et de « l’éducation non formelle » (celle qui s’acquiert par exemple au travers d’une activité professionnelle, associative, ou militante et susceptible donc de donner lieu à une « validation des acquis »).

Le L.M.D est présenté comme une réforme pédagogique, alors qu’il s’agit d’abord d’une réforme économique visant notamment à réduire la dépense publique en matière d’éducation. En effet, la forte augmentation des effectifs étudiants du début des années 1990 a contribué à augmenter les dépenses publiques. Dans ce cadre, on comprend pourquoi la réforme des E.C.T.S est avantageuse. En effet, celle-ci permet de faire varier le nombre d’heures de cours et d’augmenter la part prise par les formes d’enseignement alternatives au « présentiel « (recours à internet, aux Cdroms, « validation des acquis », etc.). On observe ainsi que les maquettes sont de moins en moins définies par des volumes horaires, voire même qu’on n’y trouve plus aucune fourchette horaire, et de plus en plus en termes d’E.C.T.S., dont le contenu est défini localement, ce qui au final permet de réduire le coût de la formation par étudiant.

La mise en place du L.M.D permettra aussi de rationner l’offre de formation, et donc de réaliser des économies substantielles. En effet, celle-ci transformera nombre de petites universités en collèges universitaires s’arrêtant au niveau du L. Et il est probable que beaucoup des étudiants inscrits dans les universités de proximité hésiteront à s’expatrier afin de poursuivre leur formation au delà de la Licence. Il est d’ailleurs assez cocasse (ou tragique c’est selon) de constater que ce sont les mêmes « experts » qui, au temps du « Plan Université 2000 », parlaient de « maillage du territoire » par les équipements universitaires de proximité, et qui maintenant parlent de la « mobilité internationale » des étudiants, sans jamais vraiment aborder la question, pourtant cruciale, des financements.

Le L.M.D est un moyen de réduire le nombre d’habilitations, ce qui permettra de rationner l’offre, et par là même d’agir sur les enseignants. En effet, une frange d’entre eux se verra de plus en plus réduit à enseigner au niveau du L, sans pouvoir se consacrer à la recherche. On peut penser que l’augmentation du nombre d’heures annuel d’enseignement préconisé dans le rapport Belloc (passage de 192 heures à 288) servira justement cela, ainsi sans doute qu’à résorber le stock d’heures supplémentaires.

La « mutualisation » est aussi un des autres moyens miracles permettant de réduire les coûts. Dans les faits, on observe qu’en second cycle elle se résume souvent en une « pluridisciplinarité du pauvre », consistant en la réunion dans un même cours d’étudiants aux provenances disciplinaires les plus diverses.

La mise en place du L.M.D va favoriser aussi le développement du marché de l’éducation. Dans ce cadre, il paraît probable que les premiers enseignements transférés au marché seront les langues. Pas les langues enseignées dans les départements de langues, mais celles nécessaires à l’obtention des autres diplômes que ceux de langue. A terme, cet enseignement sera au frais de l’étudiant lui-même, l’université conservant la fonction de certification et abandonnant au privé celle de formation.

Cette logique de dissociation de la certification et de la formation est bien visible aussi dans le cas de la V.A.E (validation des acquis de l’expérience). Ainsi dans la rédaction de leurs maquettes, les universitaires sont sommés de penser à la question de la V.A.E. Cette évolution rejoint celle qui enjoint les académiques à définir les programmes en termes de « compétences », et non plus en termes de « connaissances », en mobilisant notamment des « référentiels de compétences ». Ce passage des « connaissances » aux « compétences » signe le passage à une conception purement utilitaire et instrumentale de la connaissance, bien éloignée des idéaux académiques traditionnels.

Jean Yves Rochex (Sciences de l’éducation, Paris 8) prend ensuite la parole au nom du collectif d’enseignants de Paris 8 à l’origine de cette rencontre. Il rappelle les caractéristiques du public étudiant de Paris 8. En effet, c’est une des universités parisiennes dont le recrutement est le plus populaire. De même, c’est celle qui compte le plus fort pourcentage d’étudiants étrangers. Concernant son activité pédagogique, on note que c’est l’université française où le taux de réussite au D.E.U.G est le plus faible et celle qui, au vu des caractéristiques de son public, a la plus faible « valeur ajoutée » de France (cf. « La réussite au D.E.U.G par université », Note d’Information n° 01.47 de la Direction de la Prospective et du Développement,1999). De même, on sait que la démographie étudiante de Paris 8 évolue rapidement. Ainsi, et selon les chiffres diffusés par l’Observatoire de la Vie Etudiante local, entre 1994 et 2000 la population étudiante a augmenté de 3,3%. Mais la répartition par cycles révèle que ce sont le 1er cycle (+9,8%) et le 3ème cycle (+8,3%) qui ont augmenté leurs effectifs, tandis que la population de second cycle décroît fortement (-21,2% pour la Licence et -13,9% pour la Maîtrise). On assiste donc à Paris 8 à une dualisation croissante de la formation entre 1er et 3ème cycle, lesquels ont d’ailleurs des publics très différenciés. Le clivage entre collège universitaire et formations de 3ème cycle est donc déjà une réalité dans cette université.

Or, ces données n’ont absolument pas été prises en compte lors des débats relatifs au L.M.D à Paris 8, focalisés pour l’essentiel autour du M et du D. On a donc fait l’impasse sur le débat politique nécessaire. Ainsi, la question de « démocratisation » de l’enseignement supérieur est escamotée, comme celle de la qualité et de l’autonomie de la recherche, fortement menacée par l’utilitarisme ambiant.

Concernant l’application du L.M.D à Paris 8, les maîtres mots sont : opacité, précipitation, culture de l’urgence et autoritarisme. Ce cocktail favorise la mise en concurrence des filières, formations, disciplines à l’intérieur même de l’université (c’est le thème « des formations contre les formations, et au final contre l’université »), -ainsi qu’entre universités (c’est le thème « des universités contre l’université »)-, notamment au nom de la constitution des « pôles d’excellence », et il exacerbe l’individualisme, ainsi que le développement de mécanismes de défense en tous genres. Il n’est que de voir les effets, dans l’enseignement secondaire, de l’autonomie des établissements et de leur mise en concurrence pour prévoir ce qui va advenir à l’université.

La confusion, comme l’absence de suivi dans la réflexion, s’illustrent de mille manières. Ainsi depuis le début de cette affaire, il n’a toujours pas été possible de rencontrer le « correspondant d’établissement » du ministère. De même, les séminaires « ouverts à tous » initialement prévus par la présidence pour discuter de ces questions brillent par leur absence. Personne n’a fait le diagnostic de l’état existant, ce qui pourtant s’avèrerait indispensable dans la conjoncture actuelle. En fait le plus souvent, la direction de l’université se contente de répéter les injonctions ministérielles, lesquelles sont floues, changeantes et contradictoires. Le cadre d’ensemble est donc opaque et fluctuant. On notera aussi l’absence de retour relatif aux réunions des présidents d’université de la région parisienne, qui se sont déjà réunis plusieurs fois afin de discuter de « l’offre de formation » régionale. De manière générale, on note qu’il est impossible pour les membres de la communauté universitaire de savoir ce que font, et votent exactement, leurs représentants à la Conférence des Présidents, laquelle paraît s’être ainsi dangereusement autonomisée de ses mandants…

Cette culture de l’urgence, où chacun cherche d’abord à sauver les intérêts de sa discipline, de sa formation, de son institut, laboratoire, etc., s’accompagne d’une frénésie autoréformatrice non exempte parfois d’autoritarisme. De même, on note que cette culture de l’urgence, comme le flou des échéances qui connaissent une prodigieuse mobilité, empêche tout développement d’une réflexion de fond sur l’avenir de l’université. A croire que cela soit justement l’effet recherché par les stratèges du ministère.

On observe aussi un phénomène d’abandon à la logique du pire. Ainsi, et sous prétexte que les inégalités existent déjà entre filières, établissements, certains proposent d’abandonner tout cadre national. A ce compte là, autant supprimer la loi relative à l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, sous prétexte que le plus souvent les femmes sont moins payées que les hommes.

Il faudrait s’interroger aussi sur les vertus intellectuelles de l’interdisciplinarité proposée, ou plutôt imposée, au travers notamment des mécanisme dits de « mutualisation » des enseignements. Sur le fond, et au plan de la recherche, l’idée d’interdisciplinarité est séduisante. Mais qu’en est il au niveau de l’enseignement, c’est-à-dire du point de vue de la formation intellectuelle des étudiants ? Cette question n’est jamais posée. En fait, et au travers de cette pluridisciplinarité imposée, qui pour se légitimer se donne parfois des airs d’avant-garde, on voit s’opérer aussi une redéfinition de la recherche autour d’objets, et non plus autour des disciplines. À séparer la réflexion sur la recherche et celle sur la formation, à penser les évolutions à venir de l’université dans la seule logique descendante du D au M puis au L - quand bien même on ne passe pas ce niveau sous silence - le risque est grand que les préoccupations de recherche l’emportent sur les préoccupations de formation, au détriment des disciplines et, au final, de la recherche elle-même, et que ce qui sera interdisciplinarité pour les étudiants qui auront quand même pu se doter d’un formation disciplinaire préalable à la construction d’objets interdisciplinaires soit, pour les autres, pure et simple a-disciplinarité.

En fait, il est fort à craindre que dans le cadre de la division du travail universitaire entre universités parisiennes, les universités parisiennes intramuros les plus puissantes restent dans une logique disciplinaire et conservent notamment les enseignements de préparation aux concours ainsi que leurs liens privilégiés avec les grandes écoles, tandis que les universités périphériques seront obligés de se centrer sur des objets localement définis et s’enfonceront par là même dans une logique de spécialisation encore plus étroite. De même, la logique d’individualisation des parcours étudiants et le brouillage des hiérarchies qu’elle induit vont être démultipliés par le recours accru à la logique de la validation des acquis. On retrouve ici aussi le mythe increvable de l’élève « porteur de projet », consommateur éclairé et mobile et « acteur rationnel » de sa propre formation, mythe qui correspond assurément plus au modèle de l’étudiant de classe moyenne, ou supérieure, qu’à celui d’origine populaire, pourtant bien présent à St Denis.

Bernard Lacroix (science politique, Paris X) prend la parole pour décrire, ironiquement, sa rentrée universitaire. Il rapporte, comme responsable de laboratoire, les échéances insensées auxquelles il a été affronté dans la cadre de la préparation du prochain « contrat » quadriennal, prévu pourtant pour l’horizon 2005-2008. Il rapporte l’importance du temps perdu pour l’enseignement du fait du système des trois sessions d’examen lié à la réforme Bayrou et observe que celui-ci a déjà conduit à une réduction du format des examens et de leurs exigences. Cette situation ne lui paraît cependant avoir rien de personnel et pourrait contribuer à expliquer le sentiment collectif de démission et d’impuissance généralisé qui définit le contexte dans lequel se profile la « réforme du L.M.D » : « Nous sommes tous des Fabrice à Waterloo. »

Il évoque ensuite quelques aspects propres à l’université Paris X : un sentiment de patriotisme local né des relations longtemps complices avec des syndicats dominants parmi les IATOSS tels que la CGT et des équipes présidentielles successives désarmées. Cette particularité se traduit par une grande méfiance vis à vis des enseignants, toujours soupçonnés de préparer leur départ vers une autre université. C’est, malgré les grandes ambitions affichées, le syndrome de l’université de banlieue, comme « université sas » entre les universités de province et celles de Paris intra muros. Ceux dont on se méfie le plus sont aussi les professeurs, une bonne partie de l’équipe présidentielle actuelle étant notamment constituée de maîtres de conférences voie longue en attente d’avancement pour bons services rendus localement.

Globalement, la politique de Nanterre consiste à essayer de « se faire bien voir par le ministère », dans la ligne de toutes ses tactiques antérieures, tenter d’innover, même en l’absence des moyens nécessaires comme le montrerait un examen spécifique des bi DEUG droit-langues. Cette politique donne, au final, des montages toujours précaires au fonctionnement souvent hasardeux.

Le L.M.D se présente, dans ce cadre, comme une politique venue d’en haut censée laisser toute latitude d’action aux « gens de terrain ». Mais cela reste une action politique à perspective floue. De fait, la notion « d’espace universitaire européen » est vague. Et ce n’est pas l’image d’Epinal de l’université médiévale, avec ses étudiants itinérants accourant pour écouter religieusement les St Thomas ou Abélard de l’époque, qui permettra d’éclairer la lanterne des universitaires chargés, au jour le jour, de construire cet espace d’échanges à moyens constants. Il n’est qu’à observer les moyens en personnel et en argent que des établissements tels que l’I.E.P de Paris consacrent à l’échange avec des universités ou des écoles étrangères pour comprendre que l’organisation de tels échanges sans la moindre logistique appropriée n’est qu’un « miroir aux alouettes ». Plus généralement, la comparaison des moyens dont dispose à cette fin l’université française avec ceux des universités étrangères est cruelle. Au vrai, nos gouvernants veulent « l’espace universitaire européen », mais sans les moyens économiques et humains nécessaires.

L’expérience L.M.D met ainsi en route une expérience sans principes définis, subordonnée aux humeurs fluctuantes du recteur Monteil. Ses collaborateurs, qui seront in fine les évaluateurs des projets et maquettes élaborés par les universités, vont répétant que « Tout est possible », parce qu’il « n’ont aucun dogme » (sinon, celui indicible de la sélection à l’entrée des formations). Mais, de fait, le discours de l’appel à la liberté généralisée n’est qu’une forme de démagogie. On peut voir là l’une des raisons de l’enfermement progressif des universitaires dans des controverses locales insurmontables, en même temps que du développement infini de rumeurs invérifiables. On peut voir là aussi une des raisons du désarroi d’équipes présidentielles déstabilisées, conduisant à des logiques ubuesques, comme celle qui a vu Nanterre voter d’abord le nombre des « domaines » possibles localement pour le master (n=6, chiffre sensé agréer au ministère), avant même de penser à leur contenu.

Il est intéressant, devant cette brutalité qui ne dit pas son nom et qui prolonge la pratique du « coup de pied dans la fourmilière » chère à l’ancien ministre C. Allègre, d’observer quels sont ceux qui se saisissent de semblables circonstances. Car cet appel à la créativité, aux « projets » (et donc aux « porteurs de projets ») est indissociable de l’apparition de chefs, petits chefs, plus ou moins autodésignés, insatisfaits des conditions de leur exercice académique, et censés encadrer ou organiser « la réforme ». On rencontre ainsi le profil du maître de conférences actif depuis toujours dans les conseils et qui peut enfin aspirer à piloter tel ou tel dispositif (en l’absence de personnel administratif en nombre suffisant), tandis que d’autres essaient de profiter de leur engagement dans les rangs des équipes présidentielles pour donne une couleur « internationale » à leur activité universitaire. Mais il y a aussi le cas du professeur défendant son U.F.R (parce qu’elle est la clef de la répartition des crédit à l’intérieur de l’université !) ou bien celui du défenseur de « la discipline », aménageant, en raison du confort nécessaire à sa fin de carrière, une alliance avec tel ou tel établissement plus prestigieux de Paris intra muros. Un nombre significatif d’enseignants se rallient ainsi sans le dire, ou même parfois sans le savoir, au faux avant gardisme de l’expertise ministérielle (celui que résume la formule omnibus : « Pluridisciplinarité, international, excellence ») dont le seul résultat certain est d’introduire la division quand il faudrait favoriser l’effort commun. La construction de l’offre de formation risque alors de se réduire à une simple opération de marketing, voire, au pire, à une forme de publicité institutionnelle honteuse consacrant en fait les inégalités entre établissements.

Au total, le L.M.D apparaît comme une entreprise qui, en jouant sur la démoralisation et la démobilisation des personnels de l’université, cherche à profiter de la conjoncture démographique de renouvellement des personnels pour introduire une gestion manageriale supposée avoir fait ses preuves ailleurs. Nous pourrions bien ainsi nous réveiller d’ici quatre ou cinq ans dans une université qui n’aura plus rien à voir avec les raisons qui nous ont conduits, les uns les autres, vers le métier d’enseignant chercheur, parce que, sous la contrainte d’exigences étrangères aux raisons d’être de cette double fonction, la possibilité même d’une réflexion autonome y sera drastiquement limitée et encadrée. Il faut ainsi se demander si, à terme, l’existence du libéralisme académique, au meilleur sens du mot, celle qu’a incarné par exemple en son temps un R. Aron, ne sera pas tout simplement impossible dans l’université de demain.

Emmanuel Paris (sciences de la communication, Paris 13) prend ensuite la parole pour souligner, lui aussi, l’absence de débat dans son université.. Il parle d’un escamotage de la promesse de démocratie, lancée à l’époque par les candidats de la campagne électorale pour le renouvellement de la présidence de l’université (décembre 2002) en réponse aux syndicats qui leur demandaient alors de prendre position sur les conditions de mise en œuvre du LMD au sein de P13. Il ajoute que depuis la rentrée universitaire, il a le sentiment d’une université qui s’entredéchire, en grande partie du fait de la décision prise par son président au cœur de l’été et sans concertation préalable, d’accélérer le calendrier et de basculer dans le système LMD dès 2004 et non plus 2005 comme il a toujours été question. Certains départements, notamment les plus puissants, avaient indéniablement intérêt à ce que ce changement de calendrier se fasse si rapidement ; ils travaillaient régulièrement au basculement de leurs formations dans le système LMD dès décembre 2002 et étaient prêts dès juin 2003. Mais ce n’était pas le cas pour bien d’autres, qui n’ont commencé les réunions d’information sur le LMD qu’à partir de juin 2003. La réforme LMD a donc contribué à augmenter le clivage entre formations, et loin d’harmoniser l’offre de formation de l’université, l’a rendu encore plus complexe. Les méthodes employées par la présidence de l’université pour aider les UFR à penser la reconfiguration de leur offre de formation sont insatisfaisantes. Ainsi, le chargé de mission LMD pour P13, certes syndicaliste, ne fut pour autant pas élu pour cette mission particulière. La note de cadrage, parvenue fin septembre 2003 aux UFR et signée de ce chargé de mission et de la vice-présidente du CEVU, se présente comme un document de propositions pour aider à faire les maquettes mais ces conseils sont si précis (c’est là une première dans l’histoire de cette réforme) qu’ils apparaissent comme ayant une valeur contraignante, réduisant à pas grand chose la marge de manœuvre des rédacteurs des maquettes. A la demande d’universitaires en colère, la représentante du SNESUP a demandé vendredi 17 octobre 2003 en CA au président de l’université de reconnaître le fait que les règles élémentaires de démocratie locale ainsi que le respect dû aux personnels ont été bafoués.

Pierre Cours- Salies (Institut d’Etudes Européennes, Paris 8) évoque le Livre noir sur les universités françaises et explique que celui ci fait « l’analyse d’une débâcle ». L’université française s’aligne sur modèle anglo-saxon. On voit alors apparaître de fausses filières professionnelles, mais avec de vrais patrons… Il se déclare intéressé par l’analyse du « Comment ça se passe » proposée par les rédacteurs du Livre noir, mais pose ensuite la question du : « Que faire, et comment le faire ? »

En fait, l’université actuelle n’a déjà pas les moyens de réaliser ce qu’elle doit faire aujourd’hui. On voit donc mal comment elle pourrait faire plus. Il souligne ainsi l’absence dans le débat de la question des personnels I.A.T.O.S.S, qui rencontrent déjà beaucoup de difficultés à faire fonctionner l’université aujourd’hui. Il est à craindre aussi que, parallèlement au développement des filières d’excellence avec numerus clausus et moyens financiers conséquents, on voit se développer des filières médiocres et sans moyens.

François Castaing (A.E.S, Paris 8) commence par parler du sentiment d’urgence perpétuel dans lequel sont plongés les académiques et qui contraste avec le fait que l’on parle pourtant du L.M.D depuis déjà 4/5 ans (époque Lang). Il pose ensuite la question des moyens que l’on se donne et souligne l’importance du quadriennal. C’est là dessus qu’il faut se mobiliser. Car avoir un constat d’une extrême lucidité ne permet pas forcément de faire quelque chose.

Le but du L.M.D est de réduire le nombre d’étudiants. Ainsi, le montage des masters repose autour de deux principes. Chaque master doit correspondre à un flux de 100 étudiants, tandis que le nombre de masters doit être inférieur à celui des Maîtrises, D.E.S.S, D.E.A.

Il souligne ensuite qu’il y a plus de présents dans cette assemblée, que lors du forum organisé par la présidence le 12 juin 2003. En fait, les enseignants acceptant le discours élitiste qui soutient la logique du L.M.D sont une minorité. Il relève aussi que dans les débats officiels, on ne parle que des structures, et jamais de pédagogie ou de recherche. Pourtant, Paris 8 connaît un taux d’échec formidable qui devrait faire réagir l’institution. Mais l’inertie est telle, que rien ne bouge. Il faut donc « repolitiser les choses ». Veut-on, oui ou non, une université démocratique ?

Nasser (étudiant de Paris 8 membre du C.A et du C.N.E.S.E.R) explique qu’en la matière il y a « beaucoup de silence de la part des professeurs, un gros vide, un gros silence ». Il règne un « flou total vis à vis de l’avenir de l’éducation ». Il évoque les résultats d’un questionnaire passé auprès d’un échantillon de mille étudiants. 25% se déclarent opposés à la réforme, 50% disent n’en rien savoir, 23% sont sans avis et les 2% restants y sont favorables. En fait pour nombre d’étudiants, le problème est « comment arriver à sortir du système éducatif pour trouver un emploi ensuite. » Mais les étudiants ont pris conscience de leurs droits.

Josette Trat (sociologie, Paris 8) souligne le fait que si les étudiants ne se mobilisent pas, la réforme passera. Or, beaucoup de nos étudiants sont salariés, ce qui les rend moins disponibles. Elle propose de diffuser massivement le Livre noir. Elle critique le « baratin » officiel qui, dans la pratique, recouvre des pratiques de repli ou de simple suivisme. Il faut arriver à sortir de nos cloisonnements et réussir à se redonner des rendez-vous. Notamment sur Paris 8.

Sylvie Célérier (sociologie, Evry) explique qu’à Evry, les étudiants sont très perturbés. Elle souligne la similarité de position des universités de la banlieue parisienne, avec celle des petites universités de province. En effet, ce sont les plus menacées par la réforme. L’université française ne marche pas bien, il faut donc la réformer. Mais pas nécessairement dans le sens des réformes en cours. Elle signale que les présidents d’université de la région parisienne se rencontrent très régulièrement et que des textes sont écrits. Il serait fort utile de les connaître.

Pierre Rabardel (psychologie, Paris 8) propose de créer une instance qui fasse contrepoids à la C.P.U à la fois nationalement, mais aussi dans chaque université. Car le président n’a personne en face de lui. Selon Rabardel, on assiste à une transformation manageriale de l’université, laquelle se fonde notamment sur la peur, l’insécurisation, la déstabilisation des universitaires. Ce qui provoque ensuite des luttes sans fin entre secteurs, formations, etc. Or, nous disposons d’organisations syndicales. Elles pourraient agir. De même, il y a les conseils. Il faudrait faire un véritable bilan collectif des décisions déjà prises, des prises de positions, des projets en cours, etc. Pour finir, il signale qu’il vient de voir s’ouvrir à Paris 8 une formation proposant la même formation que la sienne, mais payante (5.000 euros de frais d’inscription). Or, il n’en a même pas été prévenu.

Martine Poupon Buffière (communication, Paris 8, et animatrice du G.R.O.F) souligne que contrairement à ce qui a été dit, il y a eu des débats pédagogiques dans cette université, notamment autour du D.E..U.G. Cela a été mal diffusé, mais existe quand même. Elle explique aussi qu’avec la réforme Bayrou (compensation inter et intramodulaire), la réussite aux examens des étudiants a fortement progressé à Paris 8.

Une secrétaire du département de cinéma explique que le département de cinéma vient d’être l’objet d’un conflit violent entre maîtres de conférences et professeurs relatif à la direction des Maîtrises. Faut il y voir un prodrome de ce qui va se passer autour du master ?

Emmanuelle Sibeud (histoire, Paris 8), explique que les étudiants se plaignent de ne pas être suffisamment informés. Elle propose à chaque département de réunir ses étudiants de façon à expliquer la réforme et les positions de chacun. Il faut donc se mobiliser dans le cadre de chaque département.

Pedro Cordoba (espagnol, Paris 4) souligne que le problème essentiel tourne autour du master. En effet, si on rattache les masters au doctorat, on entérine inéluctablement la division entre collèges universitaires et universités disposant de 3ème cycle : accoler le master à la Licence, ou au Doctorat, a donc des effets très contrastés. Il décrit ensuite les montages actuels entre Paris 1, Paris 4 et les Écoles normales, qui bâtissent ainsi de petits masters recherche. On a là une expression de la logique des « pôles d’excellence. » Pour que tous les départements puissent offrir un cursus à Bac+5 minimum, il faudrait s’opposer aux masters-recherche ayant pour seul débouché une inscription en thèse et préconiser des masters d’études disciplinaires spécialisées faisant suite à la licence : première année commune (quand c’est possible) avec les masters professionnels ; deuxième année offrant une formation assez semblable aux actuelles maîtrises. Un tel master disciplinaire serait un prérequis de l’agrégation, qui n’a plus aucune place dans le système prévu. La vraie recherche commencerait en doctorat et il faudrait développer les post-docs.

Frédéric Neyrat annonce que le Livre noir sera suivi d’un Livre blanc offrant des propositions pour une réforme alternative de l’université française. François Castaing dit prendre en charge la constitution d’une liste de diffusion sur la base des présents. Il faut penser aussi au Forum social européen qui va bientôt se tenir à St Denis. Paris 8 peut y jouer un rôle, autour des questions d’éducation notamment.

Enfin, Jean Yves Rochex clôt les débats en proposant d’être plus offensif. Il faut arriver à imposer un débat contradictoire à l’université et que l’opacité cesse. Il faut tirer un véritable bilan et faire un diagnostic de l’université. La mobilisation dépend aussi de notre capacité à déconstruire publiquement les questions. Il propose de demander une audience au président de l’université, afin que l’université prenne l’initiative d’organiser un véritable débat sur la réforme du L.M.D.