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Chirac SUPERMENTEUR : FERRY CONTINUE

mercredi 26 novembre 2003, par Marc - Université Paris 13

Contribution Pierre Cordoba et Pierre Cours-Salies (Paris 8).

En trois volets :

1 - TOUT CONTINUE

La réforme LMD est totalement maintenue,
affirme Luc Ferry

Paris, le 25/11/2003

"Nous soutenons entièrement - j’espère que vous aussi - cette réforme [la mise en place du LMD], voulue par Claude Allègre et poursuivie par Jack Lang, avant de l’être par moi-même", explique Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, aujourd’hui, mardi 25 novembre 2003, lors de la séance des questions orales à l’Assemblée nationale : "L’harmonisation européenne des diplômes représente en effet une chance formidable pour les étudiants, qui pourront ainsi commencer leurs études à Rennes ou Toulouse, les poursuivre à Berlin ou Madrid, avant de les terminer par exemple à Paris, sans perdre aucun temps dans leur cursus."

"Dans ce contexte, les étudiants s’interrogent sur divers points, comme la compensation des notes ou la semestrialisation des enseignements. Parallèlement, les présidents d’université demandent des mesures techniques pour mieux s’adapter à la réforme LMD, concernant, entre autres, le conseil d’administration ou l’octroi d’un budget global. Les réglages ainsi rendus nécessaires constituent le deuxième volet de la réforme : ils passent nécessairement par des mesures législatives."

"Ma réponse est très claire. La réforme LMD est totalement maintenue : il n’y aura aucun recul sur ce sujet. S’agissant des réglages techniques que cette réforme impose, je réunirai les présidents des universités qui l’ont déjà mise en place. Enfin, aucun projet de loi n’est inscrit à l’ordre du jour parlementaire, vous le savez pertinemment. Nous l’avons seulement rappelé aux étudiants, afin de leur montrer que le dialogue se poursuivait, avec eux, comme avec les présidents d’université d’ailleurs

2 - L’INFORMATION OFFICIELLE EST ACQUISE À LA RÉFORME, SANS DÉBAT

L’aplomb des journalistes est à la mesure de leur ignorance. C’est rien
moins que dans son éditorial que le Monde affirme, sur le ton péremptoire
qui est le sien, la contrevérité suivante : "C’est l’objectif de la mise en
place du système LMD - licence, master, doctorat - qui organise les diplômes
autour des niveaux bac+3, bac+5 et bac+8, qui sont les standards dans les
grands pays [...] Cette réforme a pour ambition de favoriser les
équivalences de diplômes et la mobilité internationale des étudiants
français...".

Mais il y a pire que les journalistes : c’est l’aveuglement volontaire de la
plupart des universitaires, qui sans même chercher à vérifier ces
informations fausses, croient eux aussi que le LMD tel qu’il se met en place
chez nous obéit à un standard européen et qu’il favorisera l’équivalence des
diplômes. Comme l’ignorance des journalistes s’alimente à l’intox du
ministère et que l’ignorance des universitaires s’alimente à celle des
journalistes, dont ils prennent les affirmations pour argent comptant, on
n’est pas sortis de l’auberge. Qu’en est-il donc vraiment ?

La conférence interministérielle de Bologne a adopté un texte qui prévoit
une architecture des cursus universitaires européens non pas en trois (LMD)
mais en deux (undergraduate/graduate) cycles. C’est la seule recommandation
de l’Europe aux pays membres. Elle a pour unique objectif de couper en deux
les études, en généralisant la délivrance d’un diplôme intermédiaire dans
les universités et les établissements d’enseignement supérieur
non-universitaire qui offraient un cursus d’un seul tenant. En outre, le
niveau Bac+3 ne correspond à aucun standard mondial, surtout pas celui des
"grands pays", comme l’affirme le "journal du soir". Le seul vrai standard
mondial est celui de l’université américaine : BA (Bac+4), MA (bac+6), PhD
(pour une petite minorité, à Bac+9). En Europe, le seul "grand pays" à avoir
un premier cycle à Bac+3 est le Royaume-Uni. Mais le système universitaire
anglais est on ne peut plus particulier et après ce premier cycle, les
choses se compliquent tellement qu’il vaut mieux renoncer à les décrire. La
France et le Royaume-Uni viennent d’être rejoints depuis peu par l’Italie de
Berlusconi (belle compagnie !) qui a décidé, pour réaliser des économies
budgétaires, de réduire d’un an la durée de la "laura" qui passe donc de 4 à
3 ans. Il sera fort difficile de convaincre l’Allemagne ou l’Espagne de
mettre en place des licences à Bac+3 parce que justement le standard mondial
est à Bac+4. Et d’ailleurs Bologne n’a même pas essayé de les convaincre :
ce qui est dit dans la déclaration de Bologne, c’est que le premier niveau
peut se situer à Bac+3 OU Bac+4.

Dans Libération d’aujourd’hui, Claude Allègre répète l’explication qu’il
avait déjà donnée lorsqu’il lança cette réforme. La France garde une licence
à Bac+3 parce que son lycée est meilleur que la "high school" américaine. Ce
fut vrai. Jadis. Mais depuis qu’Allègre lui-même et un certain Jospin se
consacrèrent à réformer l’école en France, nous rattrapons rapidement notre
retard (ou notre avance, on ne sait plus ce qu’il faut dire). Qu’il s’agisse
des lettres ou des sciences, le niveau du bac français est aujourd’hui aussi
nul que celui de son homologue américain.

Quelles sont les conséquences de cette non-harmonisation du premier cycle ?
Eh bien tout simplement que, contrairement à ce qu’affirme Le Monde et fait
croire le Ministère, il ne pourra jamais y avoir d’équivalences de diplômes.
Et que d’ailleurs ce n’est même pas prévu. Les équivalences européennes ne
se situent pas au niveau des "diplômes" mais des "crédits" (ECTS). Cela
signifie que les universités ont donné à leurs différents modules un certain
nombre de points, qui sont ensuite tenus en compte OU NON par une autre
université lorsqu’un étudiant veut y poursuivre des études. Les ECTS sont
une sorte d’euro universitaire qui présente néanmoins l’inconvénient de ne
pas circuler de façon obligatoire. Exemple : un étudiant français peut avoir
une année complète (60 ECTS). Sont-ils comptés comme une année complète à la
Complutense de Madrid ou à la Humboldt de Berlin ? Pas de façon automatique :
on épluche le dossier et on peut décider que tel module est validable et tel
autre pas. L’équivalence (fort incomplète) des ECTS existe déjà et depuis
fort longtemps (c’est dans ce cadre par exemple que se font les échanges
Erasmus). Le LMD n’y changera strictement rien. Les universités sont
autonomes - et beaucoup plus qu’en France - dans tous les pays européens.
Aucune gouvernement national, aucune Conférence interministérielle, aucune
Commission de Bruxelles ne pourra jamais les obliger à changer de politique.
Bien au contraire : on va vers une autonomie de plus en plus grande, y
compris en France. Les universités allemandes ne reconnaissent pas ENTRE
ELLES les diplômes qu’elles délivrent respectivement. Elles ne sont pas
prêtes de reconnaître les licences des "universités" d’Albi ou d’Avignon.

Conclusion : la seule équivalence actuellement envisageable dans le cadre
européen est celle des CREDITS. Cette équivalence, avec les restrictions
signalées, EXISTE DEJA. On n’a donc pas besoin du LMD pour ce faire. Quant à
l’équivalence des DIPLOMES, elle n’est pas pour demain. En choissant le
dispositif LMD, la France a même très gravement compromis la reconnaissance
de ses diplômes et titres universitaires sur le seul marché qui compte, le
marché mondial régi par le standard américain : Bac+4, Bac+6, Bac+9.

Pour ceux qui voudraient en savoir plus, sans se fier à la désinformation
promue par le ministère et la presse, deux liens :

http://www.esib.org/BPC/documents.html

http://fef-be.udev.org/dossiers/bologne/

Il s’agit de deux associations étudiantes, l’une internationale, l’autre
belge. Ils en savent beaucoup plus long que nos collègues universitaires, nos journalistes et peut-être - on finit par le demander - nos ministres.

Pierre Cordoba

3 - POUR CONTINUER ET IMPOSER L’ABANDON DE LA RÉFORME, IL FAUT DES EXIGENCES ET PAS SEULEMENT DES REFUS

Bonjour,

Le dernier courrier, au sujet du Monde, me semble en effet appeler, - sans doute - une réaction écrite.
Pour ce qui est des collègues, je pense que, pour des raisons intéressantes à analyser par des sociologues, ils veulent ne pas s’interroger.

Mais, essayons de tenir le fil de la mobilisation en avançant des réponses à la dernière astuce stratégique du gouvernement :

En bref,

Même sans loi d’accélération supplémentaire, les conditions d’application prévues pour le LMD amènent à différencier les formations "de filière d’excellence" et les autres par un biais de sélection. Tout le monde, dans le cadre actuel, ne peut entrer en DEA, ou en DESS ; or le master sans deuxième année ne sera rien de bien valable ; par ailleurs, les formations qui voudront encadrer pour des masters "de qualité" tiendront étroitement compte d’une sélection à l’entrée, au nom de la spécificité du diplôme et des coopérations rassemblées (nationales ou internationales).
Une fois passée l’année électorale, un grand nombre de Présidents d’universités demanderont des lois complémentaires. Ils l’ont déjà dit et écrit, cette évolution leur convient.

Pour refuser ce qui reste, machine à effets retardés mais identiques à la loi-qui-n’existe-pas-parce-qu’elle-n’a-jamais-été à-l’ordre-du-jour, comme dit SUPERMENTEUR, il faut évidemment préciser de exigences compréhensibles : elles sont ici énoncées brièvement, incomplètes, mais volontairement dans un style assez proche de ce qui me semble souhaitable, à savoir des propositions qui contraignent ceux qui ne réagissent pas à donner leur avis.

  1. l’inscription des masters (et de leurs options) dans des disciplines en fonction de schémas définis nationalement (il peut y avoir une dominante et des sous-dominantes (options). Donc aucun universitaire ne devrait proposer un diplôme de L ou de M qui ne soit pas validé par un référentiel disciplinaire national.
    Pourquoi cela n’est-il pas dit et fait par la CPU et le Ministère ? Parce que les critères seront imposés par la logique de la privatisation ? Cela peut sembler vraisemblable. On attend d’autres réponses et analyses.
  2. les embauches de personnels IATOS correspondant à une véritable prise en charge des cursus des étudiants : les moyens actuels ne suffisent pas à ce qui est des missions des universités.
    Sans vouloir aligner nos secrétariats d’universités sur celui de l’IEP de Paris...
  3. évidemment la politique de recrutement d’enseignants et de chercheurs en rapport avec une nécessaire amélioration. Si, globalement, il y a une année de plus, avec le 3 = 5 = 8 (L/M/D) pour élever le niveau de tous entre la première année et la fin du niveau M (bac+5) (qui remplace les fins à bac+4 avec la maîtrise) , comment justifier de le faire "à encadrement constant" ?
    S’il faut, par ailleurs, vraiment améliorer les relations entre université et recherche, comment ne pas AUGMENTER les moyens de la recherche ? A moins, évidemment que tout cela ne soit in fine révélateur du bluf et de la paupérisation ? Avec pour conséquence visible la dépendance accrue auprès de "sponsors", les entreprises qui proposeront les pré-embauches et se feront de la publicité en investissant dans des structures universitaires au lieu de payer leurs impôts tout bêtement.
  4. puisqu’on parle de faciliter les déplacements d’étudiants en Europe, une politique de logements permettant ces déplacements dans de bonnes conditions. De même pour les enseignants-chercheurs, pour faire remarquer, au passage, un des aspects ridicules de toute cette idée de mouvement sans même avoir délimité des moyens d’accueil (!)
    Mais tout de même, ce gouvernement prend tellement les gens pour des imbéciles qu’il parle de faire voyager sans prévoir les financements de voyages (que les étudiants se débrouillent !), ni même les lieux d’habitation ... Des futurs SDF ?
  5. Du côté des Présidents, savoir que les personnages qui laissent faire toutes ces manœuvres sans ouvrir les débats sont justement ceux sur qui le Ministre compte s’appuyer ... cela laisse rêveur. Sont-ils déjà des patrons, comptent-ils le devenir ?
    Mais qu’est-ce qui les motive ? Faut-il chercher du côté de l’étique protestante qui les pousserait à se dévouer au bien commun ? Nous craignons tous des modèles moins réussis, n’est-ce pas ? Et plus d’actualité, de Jean-Marie Messier à l’affaire Enron, pour rester à ce que même la communication déformée n’a pas pu empêcher d’être connu du bon peuple.
    Une chose doit nous mobiliser : que les président disent, dans les jours et les semaines en cours, s’ils restent mandatés par leurs universités, ou s’ils démissionnent, ou s’ils sont, dans leur université, l’agent de monsieur Ferry.

Sans vouloir être plus long, ne pouvons-nous pas essayer de définir des exigences qui seraient celles que nous proposerions comme cadre à discuter, face à tout projet gouvernemental, actuel et à venir.
Celles-ci pourraient être discutées au cours d’une sorte d’États généraux des universités. Pour ma part, il me semblerait nécessaire de les compléter par des exigences aussi nettes dans le domaine de la recherche (CNRS, INSERM, etc.)

Si je ne me trompe, et sans vouloir faire une publicité excessive, je crois avoir vu des idées semblables du côté du SNESUP et d’autres syndicats.

Cordialement

Pierre Cours-Salies
(Paris 8)

Messages

  • Réponse : aucun. la suite logique.

    Un bref commentaire au courrier de Pierre Cours-Salies (Paris 8).

    OK dans l’ensemble. Mais il serait peut-etre logique de réclamer également l’abrogation du processus de Bologne qui, par essence, implique :

    - le LMD,

    - l’université fonctionant sur le mode de l’ "entreprise" => "loi de modernisation des universités", projet Belloc, restriction budgétaire Recherche, précarisation des emplois, etc.,

    - le désengagement de l’état (Cf. l’AGCS)

    La dernière phrase se referant "sans publicité excessive" au SNESUP comme syndicat qui a / aurait tout empêché la mise en place du LMD manque de rigueur : dans de nombreuses universités, UFR, les élus SNESUP accompagnent par "ignorance feinte" voire mènent campagne pour la mise en place du LMD ; une minorité de camarades SNESUP lutte contre le LMD.... Ce ne sont que des faits (Ah, les faits...).

    Lorsque l’adéquation sera réalisée entre les faits (politique de terrain de nombreux syndiqués élus ou non du SNESUP) et la politique syndicale du snesup (politique du bureau national), le paysage sera plus clair et moins ambigue.

    Nous aurons tous à y gagner pour construire l’unité sur des bases saines et stables, pour construire les luttes.

    Dans l’attente, sur le terrain, travaillons à éclaircir les ambiguités.

    Gilles Frapper ( nouveau syndiqué à SUD Education, Université de Poitiers).