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Paris 8... et ailleurs ?

Du bon usage du LMD à Paris 8 et ailleurs

vendredi 3 octobre 2003, par Marc - Université Paris 13

Texte appelant à un forum/réunion débat sur la
mise en place des LMD pour le samedi 18 octobre. Transmis par François Castaing.

Les universités françaises sont engagées dans une réforme de leurs diplômes et de leurs formations qui implique, à plus long terme, une transformation profonde des pratiques d’enseignement et de recherche. Concernant Paris 8, les projets de licences, masters et doctorats doivent être soumis au ministère en janvier 2004. Bien que le mouvement soit largement engagé, les directives du ministère restent délibérément floues. Cette opacité des attentes fait partie de la réforme. Si elle laisse aux universités une large part d’initiative, elle instaure de fait une concurrence entre elles en les invitant à délimiter de façon rigoureuse les domaines de formation et de recherche dans lesquels elles peuvent revendiquer le statut de « pôles d’excellence ». La réforme vise donc à une réorganisation en profondeur de la carte des universités et elle conduira à une redéfinition de leurs fonctions sociales. Parce qu’elle concentre de nombreuses universités, l’Ile de France est particulièrement concernée et il est probable que les discussions en cours entre les Présidents d’Université modifieront considérablement l’offre de formation de Paris 8.

Deux séries de questions pourraient servir de points de départ thématiques pour le débat que nous souhaitons initier à Paris 8 et au-delà. Elles concernent les deux diplômes : Master et Licence, que la réforme va profondément modifier, il faudra de toute évidence y ajouter des questions sur les Doctorats.

Quels masters ?

La focalisation actuelle sur le master traduit une inquiétude légitime quant au lien entre enseignement et recherche. La centralisation opérée par les masters (qui devront regrouper au minimum 100 étudiants voire 150) pose la question de l’accès de tous les enseignants-chercheurs à des enseignements spécialisés impliquant directement leurs recherches. Et quand bien même la pluralité des mentions et options à l’intérieur de chaque master permettrait d’ouvrir l’éventail des enseignements proposés, quelles structures de décision envisager pour gérer de façon paritaire un ensemble aussi diversifié ? Trois configurations sont possibles :

- La première est calquée sur le choix des sciences dures et consiste à construire un master englobant regroupant les sciences humaines et les sciences sociales, lui-même décliné en mentions et options thématiques et disciplinaires. Elle opère les regroupements demandés par le ministère et fait une place aux objets et donc aux logiques des laboratoires de recherche tout en maintenant un fil conducteur disciplinaire. Mais elle prend le risque de construire des structures énormes qui imposeront à tous leurs inévitables rigidités.

- La seconde privilégie la logique disciplinaire et implique une étroite collaboration entre des équipes relevant d’universités différentes partageant un même master, lui aussi décliné en mentions et options thématiques. Elle garantit une forte cohérence dans la formation intellectuelle proposée aux étudiants tout en les ouvrant aux différents champs et aux multiples objets de leur discipline. Elle suppose cependant un arbitrage délicat entre les universités associées par le master dont une seule vraisemblablement sera dépositaire.

- La troisième construit des masters thématiques. Elle permet de faire surgir des objets nouveaux et elle invite à une pratique dynamique et innovante de la pluridisciplinarité. Mais elle fait peu de place à la formation méthodologique dans le cadre structurant d’une discipline ou d’une pluridisciplinarité raisonnée, au risque d’engager les étudiants dans une spécialisation précoce qui limitera d’emblée leur domaine de compétence. En outre que deviennent les enseignants et les équipes de recherche dont les thèmes, axes, objets de recherche ne correspondent pas aux thèmes des masters locaux ? Et qu’en est-il alors de l’autonomie de la recherche académique ?

Aucune de ces trois solutions n’est a priori la bonne solution. Chacune a ses avantages et ses limites qui doivent être soigneusement évalués et discutés dans le cadre local de chaque université, mais aussi dans le cadre global d’une répartition des tâches entre universités qui ne saurait se réduire à une légitimation et à une accentuation de la hiérarchie sous-jacente aujourd’hui, ou à des tractations à guichet fermé entre présidents d’université.

Quelles licences ?

Les questions que suscite l’intégration de l’année de licence dans un premier cycle prolongé sur 3 ans sont actuellement l’angle mort de la réforme. Elles requièrent cependant toute notre attention parce qu’elles concernent la majeure partie de nos étudiants. Et nous ne pourrons pas leur apporter de réponses pertinentes sans une évaluation collective et contradictoire des formations actuelles et des attentes des étudiants qui doivent être associés au débat.

On peut craindre que l’harmonisation imposée entre les deux années de Deug et l’année de licence, tout en offrant une durée mieux adaptée à la construction de la culture générale des étudiants, produise un véritable décrochage entre le niveau L et le niveau M. Ce décrochage est lourd de conséquences pour les étudiants comme pour les enseignants :
-  l’identification des « pôles d’excellence » et des domaines de formation spécifiques à chaque université abolit de fait le principe des maquettes nationales et donc, pour les étudiants, l’équivalence de droit entre des diplômes de même niveau préparés dans des universités différentes ;
-  ce décrochage aura aussi une traduction institutionnelle pour les universités et les enseignants ou formations dont les projets de masters auront été écartés, qui devront en conséquence se consacrer exclusivement aux enseignements de 1er cycle et perdront sans doute la possibilité d’enseigner certaines disciplines.

Que deviennent dans cette perspective les missions globales et locales des universités ? Quelles seraient les implications sociales et politiques de la mise en place d’un système dual associant des collèges universitaires accueillant la majorité des étudiants pour des formations courtes (niveau L) et éventuellement professionnalisantes et des universités complètes donnant accès à des formations de niveau M et D ?

Le choix inverse, qui consiste à associer étroitement le niveau L et le niveau M, comporte le risque que le niveau L devienne une propédeutique taillée sur mesure. Or projeter sur ce premier cycle allongé les logiques et les enjeux des masters soulève un redoutable problème épistémologique et pédagogique. Comment garantir une formation large et méthodique si on la fonde sur les objets ou thématiques des masters ? Si on fait le choix d’une formation disciplinaire ou bi-disciplinaire en L, comment construire la cohérence avec la transversalité qui caractérisera vraisemblablement les masters ? Faut-il songer à une gestion séparée de la première et de la seconde année du master au risque de retomber dans la logique discriminante décrite ci-dessus ? On peut certes multiplier les parcours, les atomiser même en laissant chaque étudiant construire le sien, mais alors comment rendre lisibles les formations qui leur seront ainsi proposées et qui détermineront en partie leur insertion socio-professionnelle ?

Construire un schéma et des maquettes recevables par le ministère n’est donc pas le seul enjeu de la réforme. Au contraire, nos choix techniques engagent le type d’enseignement supérieur que nous entendons proposer. Au moment où la question de la démocratisation de l’enseignement supérieur et celle de l’autonomie de la recherche se posent avec acuité, il s’agit de choix profondément politiques qui relèvent d’un débat collectif dans lequel nous pouvons et devons formuler les questions fondamentales.

Signataires :

M-F. Auzépy (Histoire), R. Barbier (Sc. Éducation, E. Bautier (Sc. Éducation), D. Bensaïd (Philosophie), S. Bonnéry (Sc. Éducation), A. Bué (Géographie), F. Castaing (AES), P. Cours-Salies (IEE), C. Davault (Sociologie), J. Delatte (InfoCom), H. Elmas (Sc. Poli-tiques), R. Ennafaa (Sc. Éducation), L. Gervais-Linon (Anglais), C. Helmreich (Allemand), M. Margairaz (Histoire), M. Mittner (Anglais), J. Portes (Histoire), G. Prévost (AES), M. Prodeau (Anglais), M. Riot-Sarcey (Histoire), J-Y. Rochex (Sc. Éducation), E. Sibeud (Histoire), C. Soulié (Sociologie), P. Tancelin (Arts), D. Tartakowsky (Histoire), A. Thomson (Anglais), J. Trat (Sociologie), H. Vieillard-Baron (Géographie)


Nous vous invitons à participer nombreux à une

RENCONTRE - DÉBAT

Samedi 18 octobre, 9 heures 30, Amphi X
-  Introduction : Ann Thomson
-  Intervention de Frédéric Neyrat et Bernard Lacroix, membres du bureau de l’ARESER
-  Réflexions sur les enjeux sociaux et les modalités de mise en œuvre du LMD : J.-Y. Rochex, au nom du collectif d’enseignants de Paris 8 à l’initiative de cette rencontre
-  Informations sur la mise en œuvre du LMD dans d’autres universités d’Ile-de-France