Université en lutte

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une volonté d’éclatement du système universitaire français

jeudi 20 novembre 2003, par michel de Rouen

Le projet de réforme sur l’autonomie et la décentralisation des universités, dite " loi de Modernisation universitaire " (probablement soumise au Parlement au mois de juin 2004), ainsi que le passage au LMD (Licence-Master-Doctorat), entraîneraient, si nous ne continuons à nous y opposer, un éclatement du système universitaire.

Ainsi à Rouen, notre université serait intégrée à terme dans une sorte de méga-université, appelé Etablissement Public de Coopération Universitaire (EPCU), regroupant très probablement les universités de l’actuel Pôle Universitaire Normand : Caen, Le Havre, Rouen.

Ce choix de constituer des grands établissements répond à la volonté gouvernementale d’en faire à terme le réceptacle de la décentralisation des personnels en direction des universités (et non des Régions), mais aussi d’opérer une restructuration des filières de formations à l’intérieur d’un même EPCU, le tout accompagné d’une déréglementation et d’une individualisation des diplômes aussi bien que des conditions d’emploi des personnels (IATOS, enseignants, enseignants-chercheurs).

Restructuration des filières de formation :

Pour le gouvernement, ces grands établissements, en autorisant, par mutualisation des moyens, une restructuration des différentes filières de formation d’un même EPCU (par exemple sur Caen, Le Havre, Rouen), permettraient d’opérer des économies budgétaires, notamment en terme de postes. Pour Luc Ferry : " Il est nécessaire que les universités mettent leurs moyens en commun. C’est une bonne manière de générer des économies " (Allocution au Colloque de Poitiers).

L’objectif est de redessiner la carte des filières et des formations, en supprimant dans une université donnée tel Département, telle UFR (Faculté) voire tel IUT, pour opérer un regroupement dans une autre université : une discipline donnée - ou un bouquet de disciplines - serait à terme regroupée à Caen, une seconde sur Rouen, une troisième au Havre, par exemple. Dans les universités dépossédées, on trouverait au mieux des troncs communs de premier cycle, voire rien du tout. Pour l’Association des Secrétaires Généraux d’Université, en effet, la nouvelle loi, si elle était adoptée, " devrait se traduire [pour chaque université] par une réduction de leur nombre de composantes ", c’est à dire par une réduction du nombre d’UFR ou d’Instituts.

Pour contourner les oppositions internes qui ne manqueraient pas de surgir dans les instances universitaires, les règles de décision des Conseils d’Administration seraient modifiées (baisse des quorum), on assisterait à une présidentialisation des universités, et pour faire pression, un Conseil d’Orientation Stratégique (COS) serait mis en place dans chaque établissement. Pour rendre la pression plus forte, l’Association des Secrétaires Généraux d’Université recommande d’ailleurs que les COS soient exclusivement constitués de personnes désignées (et non élues) et que les avis émis par ces COS soient rendus publics.

En outre, toujours à suivre le projet de loi, les Régions verraient leur emprise sur les universités s’accroître considérablement : présence dans les COS et financement accru. Le pouvoir politique régional pourrait ainsi peser sur les orientations de recherche mais aussi sur les restructurations de filières d’enseignement, dans une perspective étroitement locale et à courte vue. L’autonomie, ce serait la fin d’une certaine indépendance des universités.

Les conséquences néfastes pour tous seraient évidentes, en particulier pour les étudiants dont le cursus universitaire se verrait doublé d’un véritable cursus " géographique ", source d’inégalité accrue.

Décentralisation des personnels et " budget global "

La décentralisation ne se ferait pas en direction des Régions, mais, ce qui serait encore bien pire, en direction des universités elles-mêmes.

Michel Mudry, président d’université et auteur d’un rapport sur le " budget global " à la demande de la Conférence des Présidents d’Université (CPU), parle en toute franchise de " décentralisation radicale ". Luc Ferry a retenu le terme de " décentralisation fonctionnelle " : Les compétences de l’Etat en matière de gestion des personnels, promotion, et à terme recrutement, seraient transférées, non aux Régions, mais directement aux universités. D’où, pour le gouvernement, la nécessité redoublée de méga-universités, les EPCU, avec une taille critique suffisante pour permettre techniquement cette gestion entièrement locale des personnels.

Les personnels verraient donc leurs garanties statutaires nationales disparaître pour une large part et seraient livrés pieds et poings liés à l’arbitraire des pouvoirs locaux universitaires.

A cela, s’ajouterait la mise en place d’un " budget global " : les universités pourraient supprimer des postes de IATOS ou d’enseignants et les transformer en crédit de fonctionnement ! Mais pas l’inverse (ce que les technocrates appellent " fongibilité asymétrique "). Il s’agit de réduire le nombre d’emploi de fonctionnaires dans les universités (enseignants et IATOS), en s’appuyant sur les départs annoncés à la retraite.

Les emplois précaires se développeraient à nouveau. Des services entiers pourraient être privatisés, car le budget global permettrait également de connaître, service par service, le coût total afférent, càd le coût complet, et donnerait ainsi une (pseudo) justification, comme l’affirme Michel Mudry dans son rapport, pour " un arbitrage entre utilisation des ressources humaines de l’établissement, et recours à des prestataires externes (exemples : imprimeries, services généraux, fonction de bureaux d’étude…) " (Rapport sur le budget global, p. 25).

Ainsi, toujours selon Michel Mudry, " La fonction de président se rapprochera sensiblement de celle de chef d’entreprise publique " (p. 22). Michel Mudry s’inquiète d’ailleurs des résistances internes, dans les instances universitaires, à ce vaste programme de restructuration et de déréglementation, à cette transformation des universités en entreprises : " Certains doutent de la possibilité de mener, avec la composition actuelle des conseils internes des universités et notamment du Conseil d’Administration, une véritable politique d’entreprise publique ; d’où le débat institutionnel à ouvrir sur la création éventuelle d’un conseil d’orientation, ou bien un élargissement considérable de la place des personnalités extérieures, représentant la société, au sein du Conseil d’Administration de l’université " (p. 22). Contourner systématiquement les représentants élus des personnels, voilà une curieuse conception de la démocratie universitaire ! Non, l’université n’est pas une entreprise, tout simplement elle n’a pas cette vocation.

Déréglementation et individualisation pour les étudiants et pour les personnels

- Pour les étudiants : la réforme LMD introduit une quasi-disparition du caractère national des diplômes. Une licence ou un master n’attesterait plus d’un niveau de qualification. D’où l’existence prévue d’un " supplément au diplôme ", annexe descriptive comprenant les enseignements suivis, sorte de diplôme individualisé pour ne pas dire simple CV étudiant. A ce jour, il n’existe toujours aucun " cadrage national " des diplômes, réclamé pourtant par la plupart des organisations syndicales ou professionnelles. Il y a là un danger très important pour les étudiants.

- Pour les personnels IATOS : la décentralisation en direction des universités supprimerait très largement les garanties statutaires nationales. A quoi s’ajouteraient : promotion locale ; entretien annuel avec le supérieur hiérarchique ; contrat d’objectif " négocié " entre l’agent et son supérieur ; individualisation des rémunérations via l’introduction de la rémunération dite " au mérite ". Ceci entraînerait un assujettissement aux présidences d’universités, beaucoup plus important qu’il ne l’est actuellement. Les personnels IATOS se retrouveraient (encore plus) dans la dépendance des pouvoirs universitaires locaux. Bref : pressions accrues et arbitraire local ! Sans compter, mais à moyen terme, la disparition annoncée des postes de catégories C, disparition qui serait permise par le budget global, puisque la Conférence des Présidents d’Université (CPU), dont la docilité, pour ne pas dire la servilité, à l’égard du ministère semble décidément sans borne, ne jure que par les catégories A, en feignant d’oublier (pour mieux privatiser ?) que l’immense majorité du travail est accomplie par les catégories C ou B.

- Pour les personnels enseignants et enseignants-chercheurs : le gouvernement veut supprimer le décret de 84 définissant au niveau national le service des enseignants-chercheurs. Celui-ci ne serait plus constitué d’un mi-temps d’enseignement (192 h) et d’un mi-temps de recherche - c’est " insuffisant et archaïque ", aux yeux de Luc Ferry -, mais serait modulable et défini en partie localement ! Un enseignant-chercheur pourrait se voir imposer un service d’enseignement compris entre 192 et 384 h (sans versement d’aucune heure complémentaire). En outre, le gouvernement entend également introduire dans les obligations statutaires les tâches annexes (dites d’animation et de gestion). " Il devient de plus en plus difficile de trouver des " volontaires " pour assurer ces tâches ", selon le rapport Espéret qu’avait commandité en son temps Jack Lang et qui a été adoubé par Luc Ferry. D’où l’idée de rendre ces tâches statutairement obligatoires, sous couvert, évidemment, de les reconnaître. Ce dernier point toucherait également frontalement les professeurs agrégés ou certifiés affectés dans les universités. Le Président Belloc vient de proposer un projet de nouveau décret qui vise ainsi à pulvériser les garanties statutaires nationales.

En résumé, les projets du gouvernement s’articulent autour de la disparition des garanties statutaires pour les personnels et de l’accroissement des inégalités pour les étudiants, avec un système universitaire à plusieurs vitesses. Le projet de loi entend d’ailleurs étendre plus largement le statut dérogatoire d’Université de Technologie, statut dérogatoire qui permet d’instaurer la sélection à l’entrée avec augmentation des droits d’inscription.

Messages

  • Entiérement d’accord avec ce texte.
    Je travaille au MEN dans le domaine de la GRH et je suis content que les mesures en cours soient perçues à leur juste valeur par les gens du terrain.
    La fonction publique est en train de vivre ses dernières années au non d’une politique européenne qui va couter très cher à tous les français.
    Moins d’impôts nationaux, plus d’impôts locaux. Moins de solidarité nationale, plus d’individualisme. Moins de liberté, plus de répréssion

    Voir en ligne : une volonté d’éclatement du système universitaire français

    • [Quote]Pour les personnels enseignants et enseignants-chercheurs : le gouvernement veut supprimer le décret de 84 définissant au niveau national le service des enseignants-chercheurs. Celui-ci ne serait plus constitué d’un mi-temps d’enseignement (192 h) et d’un mi-temps de recherche - c’est " insuffisant et archaïque ", aux yeux de Luc Ferry -, mais serait modulable et défini en partie localement ! Un enseignant-chercheur pourrait se voir imposer un service d’enseignement compris entre 192 et 384 h (sans versement d’aucune heure complémentaire). En outre, le gouvernement entend également introduire dans les obligations statutaires les tâches annexes (dites d’animation et de gestion). " Il devient de plus en plus difficile de trouver des " volontaires " pour assurer ces tâches ", selon le rapport Espéret qu’avait commandité en son temps Jack Lang et qui a été adoubé par Luc Ferry. D’où l’idée de rendre ces tâches statutairement obligatoires, sous couvert, évidemment, de les reconnaître. Ce dernier point toucherait également frontalement les professeurs agrégés ou certifiés affectés dans les universités. Le Président Belloc vient de proposer un projet de nouveau décret qui vise ainsi à pulvériser les garanties statutaires nationales. [/QUOTE]

      En tant que futur enseignant chercheur, il faut s’insurger contre la volonté gouvernementale de voir un jour la faculté gérée comme une entreprise