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Contribution au débat, à la vigilance et à la mobilisation

jeudi 27 novembre 2003, par Marc - Université Paris 13

Contribution de François Castaing

Contribution au débat, à la vigilance et à la mobilisation

Depuis que la mobilisation prend forme sur les Universités, les grandes manœuvres sont en cours.

Inutile d’épiloguer sur l’absence étonnante d’amour propre du ministre de l’EN qui, par deux fois désavoué par l’Elysée et Matignon sur ses choix tactiques préfère s’aligner plutôt que de démissionner. Comment cela peut-il contribuer à sa considération ?

Sans doute faut-il y voir là aussi que le ministre pense que l’essentiel subsiste. Ce qui devrait nous alerter.

Inutile d’épiloguer - et pourtant cela le mériterait - sur l’autonomisation considérable des présidents d’Université, qui se comportent de façon totalement autocratiques à l’égard de leurs établissements, en prenant des positions surdéterminées par la volonté de voir leurs pouvoirs augmentés, et en oubliant totalement de qui ils sont mandataires. Là encore, il y aurait des leçons à tirer du point de vue du « modèle démocratique » ainsi pratiqué.

Ces deux indices conduisent toutefois à devoir intégrer que si nous n’obtenons pas des garanties écrites sur un certain nombre de points essentiels, ce qui vient de sortir par la porte reviendra par la fenêtre.

Le mirage de l’harmonisation européenne.

Première question : elle n’est évidemment pas si l’on souhaite ou non qu’il y ait harmonisation européenne, mais celle des modalités de celle-ci. Car en réalité derrière la politique qui se met en œuvre, il s’agit d’une harmonisation du mode de régulation de l’offre de formation, et non d’une harmonisation des diplômes.

En effet, la nouvelle définition des diplômes est fondée
-  sur des ECTS dont il est dit « Chaque unité d’enseignement a une valeur définie en crédits européens. Le nombre de crédits par U.E. est défini sur la base de la charge totale de travail requise de la part de l’étudiant pour obtenir l’unité »,
-  Et sur des domaines de formation « Le diplôme de master porte une dénomination nationale arrêtée par le ministre chargé de l’enseignement supérieur précisant, d’une part, sa finalité, d’autre part, le domaine de formation concerné. »

Chacun peut remarquer que la référence au nombre d’heures d’enseignement est totalement relativisée, renvoyant à une charge de travail bien subjective puisque relative aux qualités de l’étudiant. Qui peut croire qu’un « mauvais étudiant », ayant donc besoin de beaucoup de travail pour obtenir un crédit, sera la référence pour définir le nombre de crédits nécessaire à un diplôme ? Si c’est le travail d’un très bon étudiant, bien peu l’auront. A moins que la solution consiste à ce que la « moyenne de la charge de travail requise » soit différente d’une formation à une autre et donc qu’aucune formation ne soit comparable, et donc que les formations n’auront pas la même valeur.

Quand aux « domaines de formation », cette référence est totalement ectoplasmique comme le confirme à Paris 8 le fait que nous puissions passer de 10 UFR à 5 domaines de formation, puis aujourd’hui 2 ! Sans que quiconque n’ait été capable à ce jour de dire sur quels critères ont été établis ces domaines.

Incontestablement, cette démarche conduit bien à ce que les critères de comparabilité entre les diplômes et entre Universités soit caduque et à une différenciation généralisée des diplômes proposés. On peut garder le terme de diplôme national pour la façade, mais il n’aura plus de sens.

La réforme en cours n’a donc rien à voir avec une harmonisation de la comparabilité des diplômes - si elle est inopérante à l’échelle nationale, comment peut-elle l’être à l’échelle européénne ? - mais bien à une uniformisation du mode de régulation : ce sont les flux étudiants et leur gestion ( sélectivité ou non à l’entrée, spécificité des formations , qualité de l’encadrement,…) qui vont réguler l’offre de formation. Sans même privatisation, il y a en ce sens marchandisation. A fortiori si les crédits publics sont insuffisants et qu’ils doivent être suppléés par des crédits privés.

Alors certes, tout le monde n’y perdra pas, et la hiérarchie scolaire va pouvoir épouser la hiérarchie sociale. De là dire que les défenseurs de cette réforme sont les défenseurs de cette hiérarchie, et que les prises de position des uns et des autres autorise une lecture des… positions justement.

On ne peut toutefois se cantonner à une lecture critique. A ce titre il semble bien que la réponse puisse s’articuler autour de la notion d’un cadrage national des diplômes en terme de formation clairement définies.

Cela ne règle pas tout, mais on peut au moins retenir l’idée suivante :
un diplôme national pour mériter ce titre, doit être comparable d’une Université, fût-elle française ou européenne, à une autre. Il y a donc nécessité, en deçà de la thèse, d’objectiver son contenu autour des deux critères suivants :
-  le contenu d’une formation renvoie à un contenu disciplinaire ou pluridisciplinaire, c’est à dire à des références quantifiées en terme de discipline (le pluri disciplinaire, souhaitable à de nombreux égards, ne peut être obtenue par une référence dissolvant les références disciplinaires)
-  le contenu d’une formation se ramène à un nombre d’heures d’enseignement ou, de façon complémentaire, à un travail personnel de l’étudiant exprimé en équivalence d’heures d’enseignement.

Cela suppose que les « domaines » de formation soient recensés en référence à des disciplines reconnues ( ce qui peut se faire à l’échelle européenne et pas seulement national) et qu’un « référentiel national de diplôme »soit établi.

Quid des formations à bac + 2 et des conventions collectives

Deuxième question : les formations Bac +2 et la référence aux conventions collectives

La mise en place de nouveaux cycles pose évidemment question. Si les mots ont un sens un cycle a sa cohérence. Un diplôme intermédiaire ne clôture donc pas une formation dans sa cohérence. C’est vrai pour les masters (on y reviendra plus loin), mais c’est vrai aussi pour le « premier cycle ». Si l’on souhaite un premier cycle en trois ans - faut-il avoir une religion en ce domaine si ce n’est que tout rallongement d’étude pose inévitablement la question de l’accompagnement en terme d’une aide sociale des étudiants digne de ce nom - alors il faut au moins que soient traitées deux questions :
La première est quelle troisième année de formation pour les BTS et DUT. Par une passerelle à l’Université ou par une formation qui leur reste spécifique ?
Ce qui implique la seconde, celle de la mise en chantier d’une nouvelle grille de reconnaissance de qualification dans les conventions collectives.
En l’absence de réponses à ces questions, alors il ne faut surtout pas s’engager dans la refonte de cycle.

Un numérus clausus à B+4 ou B+5 ?

Troisième question : quel passage du +4 au B+5

Comme dit précédemment, l’existence d’un cycle renvoie à une période de formation cohérente. La cohérence du master se construit donc en deux ans. La première année pour « harmoniser » les formations des entrants qui peuvent venir de formations ou d’expériences professionnelles différentes et la deuxième pour construire la spécificité de formation du master et la valider.

Or quelle n’est pas notre surprise en observant que si l’entrée en master est de droit, tel n’est pas le cas de la poursuite d’études au sein du master, qui peut sélectionner à la fin de la première année. Il y a bien de fait instauration d’un numérus clausus à la fin de la première année de master. Mais si l’on fait l’hypothèse que les contraintes de financements seront importantes sur l’ensemble du master, il y a fort à parier que les pressions seront fortes pour que ce numérus clausus glisse de la deuxième année à l’ entrée en première année.

Alors de deux choses l’une : ou l’on abandonne la référence au deuxième cycle en ces termes, et on abandonne le LMD, ou on la maintient et alors se pose la question du libre accès en master avec passage de droit de la première à la deuxième année.

Quatrième question : Le financement des formations

L’un des risques majeurs de ce qui se met en place est dans certaines universités l’abandon du premier cycle à ses propres vicissitudes, et dans d’autres à une valorisation de celui-ci y compris par le biais de formes sélectives à l’entrée.

Il me semble indispensable d’aborder a moins trois dimensions du problème :
-  si dans certaines universités le premier cycle peut être attractif au regard des autres formations, dans d’autres il y a une logique de quasi relégation (s’y inscrivent nombre de ceux qui n’ont pu s’inscrire ailleurs). En tout état de cause, il faut s’interroger sur l’écart important entre les taux de réussite dans les formations sélectives (où la sélection est donc préalable) et ceux des universités (où si l’accès est libre, la sélection y est ensuite importante). Le paradoxe est que l’encadrement pédagogique est autrement plus élevé dans les premières que dans les secondes. Il y a une urgence à rééquilibrer cet état de fait, non pas en défaveur des BTS et IUT mais en faveur des universités. Ce qui entraîne par ailleurs une réflexion obligée sur les méthodes pédagogiques qui doivent accompagner les moyens financiers nécessaires.
-  Le risque est grand, à travers le mode de mise en place du LMD que les deuxièmes cycles absorbent une part importante des financements, au détriment des premiers cycles lorsque ceux-ci ne fonctionnent pas bien. Peut-on accepter l’idée qu’une forte dissymétrie puisse s’instituer ? Ne faut-il pas introduire un critère égalitaire de financement des formations, qui suppose la révision des normes San Remo qui s’en écartent déjà trop ?
-  Enfin, le risque est grand encore que le malthusianisme des financements de l’Etat ne conduise à la généralisation déjà bien engagée des financements complémentaires ;or l’inégalité entre les Universités va être manifeste, rendant par ailleurs très prégnant les pressions des collectivités territoriales à tel endroit, des financements privés à tel autre, une combinaison des deux ailleurs. Comment peut-on envisager une obligation de résultats des Universités, s’il n’y a pas obligations de moyens de l’Etat ?

En résumé sur ce troisième point :
- Un plan de rattrapage pour les premiers cycles est indispensable, afin que les taux d’encadrement des premiers cycles rejoignent ceux actuels des BTS et/ou IUT, accompagné d’une réflexion et d’un plan de formation en terme de mises en œuvre de pédagogie d’accompagnement appropriées
- L’établissement de normes de financement égalitaires afin de s’assurer que le traitement des étudiants n’est pas différencié d’une université à une autre, d’une formation à une autre.
- Obligation de moyens répartis de façon égale entre les Universités afin d’éviter une mise en concurrence dans la recherche de financements

Cinquième question : Quelle professionalisation ?

La question de la professionalisation des études revient de façon récurrente. Comme cela ne se fait pas assez vite au goût de certains, plutôt que d’engager un débat de fond sur la signification d’un tel terme, on pense résoudre la question en liant la professionnalisation à celle des financements. Est dite formation professionnalisée celle qui, en faisant une part significative aux demandes patronales (pardon du marché du travail) a droit au financement par le biais de la taxe d’apprentissage voire de la formation professionnelle.
On pense ainsi résolue la question. Sans avoir à se poser celle de la nature de l’articulation entre exigences de formation/éducation et demandes des entreprises.
Or avec la reconnaissance de la validation des acquis et de l’expérience professionnelle et personnelle (à laquelle il est difficile de ne pas s’intéresser dans une Université qui s’est fondée sur la référence à l’ouverture aux salariés), la question se pose de façon plus complexe encore.

Là aussi, une triple question peut sembler décisive :
-  tout en tenant compte des savoirs nécessaires pour exercer un emploi, comment garantir l’indépendance du point de vue de la définition des formations, de leur exercice et de leur certification dans la perspective de garantir la transférabilité des formations ainsi obtenues
-  et donc quelle reconnaissance dans les conventions collectives est attachée aux formations dispensées
-  et enfin, afin d’éviter une trop grande dépendance directe à l’égard des financeurs, comment répartit on et attribue-ton les financements émanant des entreprises ?

Sixième question : quelle place pour la recherche ?

Deux questions essentielles reviennent sans cesse : celle du lien entre enseignement et recherche, et celle de l’indépendance de la recherche.
Or sur ces deux points, le projet de réforme ne dit mot mais engage en revanche des pratiques qui vont mettre à mal ces deux questions :
-  d’une part en valorisant la recherche du point de vue de la reconnaissance institutionnelle et financière, ce qu’atteste la façon dont sont recomposées les offres de formation à travers la mise en place du LMD, et que risque fort d’entériner les conclusions du rapport Belloc - qui fait suite au rapport Esperet. Le risque est grand de découpler un peu plus le premier cycle (jusqu’à la Licence) du second tant du point de vue du recrutement des étudiants que du mode d’affectation des enseignants
-  d’autre part en organisant - ou plutôt en accentuant des pratiques déjà existantes - de pilotage de la recherche par des financements non garantis et/ou privés.

Septième question : quelle place pour les personnels et les formations avec le budget global ?

Enfin, difficile de ne pas dire un mot des personnels, dans la mesure où le projet de loi de modernisation, retiré un jour, re-servi toujours, vont être manifestement soumis à une autoritarisme de proximité. Main dans la main, présidents et mandarins (çà rime !) vont y avoir la haute main sur la gestion de l’Université. Il n’est qu’à voir le comportement de la CPU pour s’en convaincre.

La contractualisation va sans doute se développer jusque dans le mode de gestion individualisé des personnels. Or il est à craindre que la réforme - passée inaperçue - de la loi de Finances autorise ans autre loi la mise en place d’un budget global pour les Universités. Or il n’échappera à personne que les enveloppes en terme de personnel définissent un « plafond d’emploi » , mais pas un plancher. C’est à dire que si vous réussissez à employer moins de personnels que ce que vous autorise le budget, vous gardez l’argent pour financer autre chose. Les charges de service des personnels ne sont plus garanties par rien…

Il peut en aller de même pour les formations, sauf si nous obtenons une règle transparente et égale de finacement des formations dès lors qu’elles sont habilitées par le ministère.

Amicalement à tous

François Castaing